Le tango du badaud
Il avance lentement, regardant à gauche et à droite. Ses compagnons chaloupent à son rythme. Sa vieille mère, une compagne, des ados.
Car le badaud est rarement seul, comme si bader était une activité de groupe.
Grand, large d’épaules, dans la force de l’âge, il porte un débardeur clair, un pantalon court et des tongs en plastique.
C’est important les tongs, cela induit déjà une gestuelle particulière.
La rue piétonne, étroite, une foule compacte, vous incitent à rester derrière.
Il s’arrête brusquement. Si brusquement que vous le heurtez malgré vous. Zoom sur un tee-shirt dans une vitrine.
Il repart, sa troupe à ses côtés. Il déambule en sinuant au gré de ses découvertes.
C’est le tango du badaud.
Un peu lassé de suivre involontairement cette allure qui n’est pas la vôtre, vous envisagez de le doubler.
Il s’arrête à nouveau. L’occasion favorable pour le dépasser. Pas de deux solitaire.
Accélération. Mais il repart aussi vite, faisant onduler son groupe dans une chorégraphie mystérieuse. Et vous voilà encore derrière.
Un peu plus loin se profile une catastrophe à l’horizon.
Un autre flot arrive badant en sens inverse. Le croisement s’annonce laborieux. Comment ne pas se faire laminer ?
Si jamais ils se connaissent, c’est encore pire. Ils s’accolent, s’exclament, se congratulent.
C’est le tango du badaud.
Vous rongez votre frein, essayez de comprendre la démarche du badaud.
La rue est commerçante, des boutiques et quelques stands de forains du marché.
Soudain, pour indiquer un bar à bière, il lance la main sur le côté, frôlant votre nez, vos lunettes. L’aventure devient dangereuse.
C’est le tango du badaud.
Un bon conseil : attendez patiemment le bout de la rue.
Il reste l’espoir de vous glisser entre eux comme une vague. Mais il faut bien connaître la musique, posséder un beau jeu de jambes, être leste et rapide, entrainé comme un danseur étoile.
Il vous faudra aussi un peu de chance.
Jean-Luc Dugied
octobre 2023