Jacques
Au hasard d’une photo, il est là, sur le seuil d’une maison, tout mince dans l’encadrement de la porte, le regard perdu vers un lointain que lui seul imagine.
Ce n’est pas une vraie maison, c’est un décor de cinéma qu’il a conçu, qu’il a fait construire entre deux autres bâtiments et que les villageois découvrent avec étonnement. Elle n’y était pas la semaine dernière(1).
Depuis des années il invente des décors au gré des films sur lesquels il travaille. Discrètement. Sans esbrouffe. En leur donnant toujours un air si naturel qu’ils nous paraissent réels, habités de longue date. C’est sa marque de fabrique.
Une discrétion qui lui ressemble.
Dans Décors de cinéma(2), Yves Robert avec lequel il a souvent travaillé, parle de lui :
« Un soir, tard, je l’ai vu passer sur un plateau, là-bas tout petit et j’ai entendu cette chanson de mon enfance : ʺQu’est-ce qui passe ici si tard, c’est le chevalier Dugiedʺ. La voix paisible, il est presque silencieux, il faut bien écouter quand il parle car il parle d’or. C’est sa règle. Le regard si bleu, si souriant, serein, paisible ou alors d’une inquiétude rassurante. Tout cela vient d’un grand savoir, d’une grande sagesse, d’une grande envie de donner aux autres, du vrai respect de l’autre. Jacques Dugied ou rien d’impossible ! C’est l’homme tranquille du temps où les cathédrales étaient blanches. »
Il y a souvent une longue pause entre deux films. Il en profite pour se retirer dans son atelier à la campagne et peindre. Au départ c’était sa passion, il y a renoncé pour assumer ses responsabilités de père de famille. Il y retourne de temps en temps. Chaque nouvelle période correspond à une nouvelle approche de la peinture.
Après une période cubiste dans les années 50, il opte pour une peinture non figurative enrichie de matériaux divers définissant un espace philosophique dans les années 70. Suivront des œuvres très géométriques, des progressions mathématiques rigoureusement calculées dans une démarche intellectuelle.
Il aborde aussi de différentes manières une étude sur le temps qui passe, souvent sur de grands formats très colorés. Dans les années 90, sa peinture semble influencée par le cinéma : perspectives sur la ville moderne, séquences de métro, analyse du mouvement.
C’est un homme qui ne parle pas beaucoup, pas pour dire des banalités. Alors quand il parle, on l’écoute. Il écoute aussi, attentif, disponible, sans ramener la conversation à lui. Une qualité rare de nos jours.
Il parle peinture, littérature, philosophie, architecture. Visiter un musée, une église avec lui est un moment unique. Son œil exercé voit tout. Il montre, il raconte, il explique.
Cet homme discret, cet artiste, c’était mon père.
Juillet 2022
(1) L’été en pente douce de Gérard Krawczyk, tourné à Martres-Tolosane (Haute-Garonne) en 1986
(2) Décors de cinéma. Les studios français, de Méliès à nos jours. De Max et Jacques Douy. Editions du collectionneur 1993. Citation d’Yves Robert, page 317