La pierre chaude au bord de l'eau

1
Rosée sur l’avoine du chemin
humide sous l’écorce du pin
éclat solaire sur un bourgeon naissant
et comme la vérité d’un luxe éblouissant
ton reflet se pose
tranquille
à la surface de l’eau
qui dort
en attendant le jour
du réveil
paradis enfin violé.

2
Lueur dans les boules du mimosa
veloutée dans l’essence de la pêche
les yeux se chargent de la douceur de la mer
qui nous regarde mourir
d’avoir trop voulu posséder
et qui gronde, roule et tempête
en ricanant
de voir que la nature n’a pas suffi
à nos sens atrophiés
qui respirent
de moins en moins
entendent
mais quel vacarme
voient
mais ne regardent pas
goûtent
en dépit du bon sens
et touchent
mais sans aimer la vie
qui dit :
« où es-tu paradis du poète ? »

3
Parfum de la lavande sauvage
douce et tendre
qui se souvient du beaujolais
que l’on buvait comme un nectar
dans les verres de cristal.
Caché dans les feuilles du saule
j’épie
le souffle qui fait trembler les lianes
les sifflets des habitants du palmier
les chuchotements sur les plantes aromatiques
et ton reflet flottant sous les branches du cèdre
symbole de ta caresse puissante et affectueuse
à toi mon vieux soleil.

4
Braises d’un feu sur le sable chaud
rouges et grises
comme un cigarillo
et qui comme la cigale lasse
dans l’espace
reprend sa place
ton cœur qui bat
c’est mon sang mêlé au tien
mon épiderme contre ta peau
et des yeux qui observent
au blanc des nôtres.
Nous repartirons de zéro
ou de rien s’il le faut
mais nous rebâtirons
espace habitable
un paradis sur terre
ou bien ailleurs
au pays où les rêves
se font réalité.

5
Perles dans l’océan brumeux
rondes et lisses
comme des cailloux creux
blanches et brillantes
comme des lis au fond des vals langoureux
froides et solitaires
comme une âme en déroute.
N’entends-tu pas le chant du désespoir
qui résonne
dans les lointains brouillards
de l’esprit vagabond.
Ne sens-tu pas la vie qui palpite
dans les rivières encore incultes
où le robot n’a pas posé
sa mécanique grise
main monotone
jamais lassée
certes
mais toujours insatisfaite.
Ne vois-tu pas
de tes yeux éblouis
se lever sur la terre
une ère nouvelle
jardin métaformique
du paradis enfin trouvé.

6
Lune de la nuit
le goût du miel
revient comme une orange
dans un sirop de turquoise
au cœur duquel le lion onirique
se transforme en une femme
nue
aux seins doux et chauds
voluptueux
à s’endormir
pour rêver
d’une peau blonde
comme le fruit défendu
mais si mal qu’on y croque
afin de se réveiller
dans un spasme solaire
libération
de deux sensibilités
transposées
en une figure géométrique
non euclidienne enfin
quatre cuisses enlacées
qui se cherchent et se trouvent
dans la chaleur humaine.

7
Écume explosant du fond des mers sans âge
givrée par le sel et l’acide de la terre sans visage
belle dans la lumière qui s’épanouit à peine
et qui comme le sourire d’une femme
te fait tout oublier
fraîche et solitaire au-dessus des flots
comme une nymphe qui viendrait juste d’abandonner
sa corolle d’étoiles
et de nacre argentée
pour venir à toi
déesse dévoilée
te chanter la mer éternelle
qui veut le rester
et qui attend ton aide
pour qu’une voix enfin apporte la parole.

8
Neige pelliculaire sur les sillons glacés
déserte comme un tapis infini
chauffée par les rayons célestes
mais résistant encore un peu
afin de nous inciter au repos
et à la méditation.
Te regardant du coin du feu
par la fenêtre gelée
pensant
que la terre renaîtra
de ta fonte prochaine
et que nous plongerons
nos mains gercées
dans le sol vivifié
nous planterons les graines
que le soleil fera germer
nous réchaufferons nos cœurs à ses rayons
et vivant près de la nature
il nous sera plus aisé
de nous aimer
de mieux nous regarder
de parler avec les yeux
si les paroles nous semblent insipides
les gestes de tendresse
nous paraîtrons si simples
si doux
qu’ils se feront
comme on boit en trempant ses lèvres dans le ruisseau
geste oublié
hommage à cette terre
qui est la nôtre.
Que nous importent
les sols des mille et une galaxies
redonnons à la nôtre
sa splendeur d’antan
car ce que certains dieux de marbre
promettent dans les textes stratifiés
le soleil dans un élan doré
nous le chante tous les jours.

9
Merdouille
bistouille
barfouille
et fleur de chtouille
s’étalent sur l’étang figé.
Merzingue
berzingue
airzingue
et bille de zinc
s’élancent
rapaces aux ailes déplumées.
Chartoc
glimtoc
burztoc
et bois de toc
s’infiltrent
malandrins entre les arbres condamnés.
Vergogne
salgogne
chouigogne
et boule de gogne
roulent
charrettes de fumier dans les villages tranquilles.
Mais qu’on nous foute un peu la paix
un peu la paix
et qu’on nous laisse vivre
à notre guise.

Jean-Luc Dugied
Cannes, 1973