Manifeste photographique

Tu prends ton téléphone dans la poche revolver de ton jean. Tu cadres rapidement le paysage, eau limpide et palmiers. De toute façon, avec le soleil, tu ne vois pas grand chose sur ton écran. C'est dans la boîte.
Tu cherches une terrasse de café. Tu pianotes sur ton téléphone pour envoyer ton cliché à tous tes amis de facebook. Leur montrer la chance que tu as d'être là. Tu continues à jouer avec ton écran. Le paysage ? Ben quoi, tu l'as capturé, tu pourras le voir tout l'hiver.
L'avènement de la photographie numérique a beaucoup changé le rapport à l'image. Appareils compacts toujours à portée de main, nombre de photos illimité. Avec un téléphone c'est encore plus simple, plus efficace.
Je ne suis pas nostalgique de la photo argentique. Elle avait ses inconvénients : poussières, rayures sur les négatifs. Le processus était long pour voir l'image. Ce n'est pas une question de technique mais une réflexion sur l'image.
Il ne s'agit pas de dénigrer une photographie qui aurait pour but principal le partage et la mémoire. Il existe d'ailleurs de nombreux genres photographiques, de la photo dite de famille à la photo d'art, en passant par le reportage, l'illustration, la publicité, la mode et bien d'autres encore.
J'essaie surtout ici d'exprimer ce qui m'a conduit à faire de la photo, à tenter de construire une œuvre photographique. Je ressentais deux temps forts, celui de la recherche, de la réflexion et celui de la prise de vue. Le travail en labo n'était pour moi qu'un aboutissement technique pour finaliser l'image.
Maintenant je me pose des questions. Avec tous les automatismes des appareils modernes, avec le travail sur photoshop, quel est aujourd'hui le rôle du photographe dans la prise de vue ? Comment concilier une exigence artistique et le plaisir de faire ?
Retourner plusieurs fois sur les lieux pour guetter la bonne lumière. Trouver un premier plan pour faire ressortir le second. Décider d'un fond flou derrière un visage pour le mettre en valeur. Le bleu de la mer ou le vert des feuillages ? Choisir la bonne focale. L'installer sur l'appareil. Maîtriser tous les paramètres.
Explorer tous les aspects d'un sujet pour en faire une série. Creuser pendant six mois, un an, dix ans.
Bien sûr, au premier abord, je cherche à réaliser une image qui soit bien construite, avec des lignes de forces, une lumière intéressante, un certain esthétisme. Et que le sujet soit signifiant. C'est déjà beaucoup.
Mais je ne suis vraiment satisfait qu'en y proposant des références culturelles ou intellectuelles. La connivence avec l'œuvre d'un peintre. Un renvoi à l'histoire de la photographie. Un paysage qui évoque l'univers d'un écrivain. Un détail, même infime, qui évoque un livre.

Voir quelques exemples

Au delà de ces considérations personnelles, l'essentiel est de garder intact le plaisir de faire des images.

Jean-Luc Dugied
novembre 2019